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Passions brunes en Europe de l’Est

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Le résultat des élections vient de tomber en République Tchèque : comme partout en Europe de l’Est, le vieux monde est balayé. Chrétiens-démocrates et sociaux-démocrates sont rayés de la carte. L’extrême-droite atteint des niveaux sans égal depuis des décennies. Dans des registres très différents, Babiš en République Tchèque, Orban en Hongrie et Kaczyński en Pologne traduisent le fond de l’air irrespirable qui imbibe le monde slave et magyar. Ils sont les symboles des fractures Est-Ouest en Europe et constituent le prélude à sa dislocation. En martyrisant ces sociétés pour offrir une main d’oeuvre sous-payée et corvéable à merci à l’industrie allemande, l’Union Européenne a fait renaître des nationalismes tenus en sous-pape depuis des décennies. Travaillés par des troubles identitaires profonds et lassés de vivre sous le régime de la souveraineté limitée, les peuples slaves et magyars jettent par dessus-bord la vieille caste politique qui a servi de passe-plat à l’Union Européenne. 

Merkel et Macron prennent une nouvelle claque en République tchèque

Le peuple tchèque a rendu son verdict ce week-end. Avec près de 30% des voix, le milliardaire eurosceptique Andrej Babiš sera le prochain Premier Ministre. Comme dans toute l’Europe de l’Est, la sociale-démocratie s’effondre. Le parti du Premier Ministre sortant, Bohuslav Sobotka passe de 20 à 7% des voix et est relégué à la position de sixième force politique du pays ! Si on compte le parti communiste, le total gauche ne dépasse même pas les 15%. Derrière l’écrasante victoire de Babiš, l’extrême-droite de Tomio Okamura et les conservateurs eurosceptiques d’ODS se tiennent dans un mouchoir de poche entre 11 et 10%. Fait notable : en incarnant la contestation venu des milieux urbains (il réalise ses meilleurs scores à Prague), le parti pirate devient la troisième force politique du pays avec 10% des voix. Quand au troisième membre de la coalition (avec les sociaux-démocrates et le parti de Babiš), les chrétiens démocrates du KDU-CSL, ils sont réduits à l’état de force groupusculaire avec moins de 6% des voix !

C’est une défaite cuisante pour le vieux monde de la politique tchèque. La politique à la papa, la coalition entre chrétiens démocrates et sociaux-démocrates ayant pour seule ambition de rester l’arrière garde industrielle de l’Allemagne et de continuer l’intégration européenne est chassée du paysage politique. Babiš a réussi a acquérir une position centrale malgré les nombreuses casseroles qui le suivent dans chacun de ses déplacements. Outre les soupçons de fraude fiscales, de nombreux conflits d’intérêts et de détournement de subventions européennes au profit d’une centre de conférence et de villégiatures, Babiš est accusé de collaboration avec la StB, la police secrète tchécoslovaque sous l’ère communiste, par l’Institut slovaque de la mémoire de la nation (ÚPN). Malgré cela, Babiš a su profiter de la vague dégagiste qui souffle en République Tchèque. Lassés d’être les portes-bagages mal payés de l’industrie allemande, les Tchèques ont balayé une classe politique qu’ils considèrent comme corrompu. Imposant la lutte contre la corruption, la bonne gestion, le refus de l’euro et de l’accueil des migrants, Babiš a su prendre l’atmosphère du peuple tchèque qui mêle frustration de ne pas être rémunéré comme les travailleurs allemands de l’industrie automobile, dégoût d’une caste politique corrompue, euroscepticisme et xénophobie. Utilisant son image d’homme d’affaire à la tête d’une immense holding agro-industrielle et propriétaire de nombreux médias (dont les 1er et 3ème journaux du pays), la deuxième fortune de République Tchèque s’est hissée aux portes du pouvoir.

Les Tchèques se sont servis de Babiš pour chasser une grande partie de la caste politique au pouvoir. Ils ont entendu les messages clairs de Babiš quant à son refus d’accueillir des réfugiés, son opposition ferme à l’attitude arrogante du gouvernement allemand et son intransigeance sur l’euro. Pour une bonne partie des Tchèques, Babiš s’impose comme un leader n’ayant pas toujours appartenu à la classe politique, qui nettoiera les écuries d’Augias de la vieille politique tchèque et qui permettra aux Tchèques d’avoir un niveau de vie à la hauteur de celui des nations occidentales.

Ayant accusé une bonne partie de la classe politique d’être corrompue et incompétente, Babiš va avoir du mal à constituer une coalition. Le parti pirate a exclu de gouverner avec Babis. Les sociaux-démocrates se disent prêts à entrer dans l’opposition. Quand à l’ODS, ils émettent de sérieuses réserves sur l’idée de gouverner avec Babis. Quoiqu’il en soit, c’est un nouveau revers pour Macron. Son idée de refondation de l’Europe a du plomb dans l’aile. Il perd son seul allié d’Europe de l’Est sur la question des travailleurs détachés. Il est évident que tous les pays du groupe de Visegrád freineront les 4 fers contre une plus grande intégration européenne. Merkel est affaiblie et va devoir durcir sa position. En Autriche, les conservateurs vont vraisemblablement gouverner avec l’extrême-droite.

 

 

Des démocraties populaires saignées à blanc par la transition vers le libéralisme

Si Babiš se distingue quelque peu de ses homologues polonais et hongrois, le fond reste commun : le refus d’accueillir des migrants, l’euroscepticisme, l’intransigeance vis-à-vis de Berlin et l’affirmation d’une certaines fierté nationale. 

En vérité, cette conjonction des phénomènes dans toute l’Europe de l’Est vient de loin. Elle trouve sa source dans l’immense brutalité du processus de transition des démocraties populaires vers le capitalisme et de la misère que répand le modèle économique imposé par l’UE. La fin du bloc de l’Est n’ayant été ni prévue ni négociée, la transition vers le libéralisme a donné lieu à un immense dépeçage de l’Etat social et des entreprises publiques au profit des oligarques issus de la bureaucratie communiste. Avec l’entrée dans l’UE des ex-démocraties populaires, le seul horizon offert a été celui des bas salaires et des « contrats-poubelle » pour permettre à l’Allemagne de produire ses pièces industrielles à bas coût et de gorger le commerce extérieur germanique.

Le cas de la Pologne est à ce titre exemplaire. En dehors de Varsovie et d’autres grandes villes, la misère s’y propage. Ainsi, en 2002, 11 ans après la transition vers le capitalisme qui promettait d’apporter bonheur et félicité, la Pologne affiche un taux de chômage de 20%. Les anciens bureaucrates, eux, se vautrent dans le stupre et le luxe. La corruption est alors à son sommet : jeunes loups capitalistes et ancien bureaucrates s’entendent pour contrôler les juteux marchés publics. L’oligarchie du « monde libre » s’en réjouit :  les compagnies occidentales contrôlent la quasi-totalité du secteur bancaire, les deux tiers des entreprises et l’essentiel des médias. Quand à la manne des privatisations s’est tarie, il ne restait plus rien pour reconstruire le pays. On décide donc de donner le remède de cheval de l’austérité à des économies déjà ébranlées par la libéralisation des prix et le dépeçage des monopoles publics. Les diktats de Washington sont appliqués aux forceps : coupes dans les bénéfices sociaux, la couverture maladie, les indemnités de chômage, l’éducation et la santé. Résultat : la moitié des familles vivent au niveau du minimum vital ou en dessous. 

En Hongrie, les même méthodes sont à l’oeuvre. Entre 1994 et 1998, la coalition issue de l’ancien Parti socialiste diminue les salaires réels de 10 % en 1995, abolit la plupart des allocations de sécurité sociale héritées de l’ère socialiste, introduit des frais d’inscription dans l’enseignement supérieur, privatise les banques commerciales et les services publics, et lance une réforme des retraites. Le système de restitution des terres et la désorganisation des fermes d’Etat ont conduit à la chute d’un tiers du volume de céréales produits. Socialement, le cocktail est explosif : le chômage monte jusqu’à 13% pour se stabiliser à 10%. Le taux d’activité dépasse à peine les 50 % contre environ 85 % à la fin des années 80. La proportion de Hongrois vivant en dessous du seuil de pauvreté est passée de 15 % en 1991 à 35 %-40 % après 1995.  Ce bilan conduit Orban, déjà, au pouvoir en 1998. Il fonde alors sa campagne sur une dénonciation de la collusion entre les anciennes élites communistes et la finance internationale incarnée par le FMI. Cependant, il applique une politique (baisse du taux d’imposition des revenus moyens et élevés, mais aussi des allocations familiales) qui n’est guère différente ce celle des ex-communistes, et sera chassé une première fois du pouvoir. 

Ce processus est à l’oeuvre dans toute l’Europe de l’Est. Au lieu de converger vers les niveaux de salaire l’Europe de l’Ouest, l’économie des PECO (Pays d’Europe Centrale et Orientale) s’effondre. Le PIB chute de 20 % avec la transition. Dix ans après le début de la transition, seule la Pologne a dépassé son PIB de 1989, tandis que la Hongrie s’en rapproche seulement à la fin des années 90. Partout, le même modèle s’applique. La fin du CAEM (Conseil d’Assistance Economique Mutuelle) conduit à l’effondrement de larges pans de la production faute de possibilité d’exporter. La libéralisation des prix fait exploser l’inflation. Les secteurs productifs restants sont vendus aux capitalistes occidentaux comme ce fut le cas pour les industries hongroises d’huile et de sucre. Les PECO se tournent alors vers un modèle économique fondé sur des faibles salaires et une faible taxation du capital. En Slovaquie comme ailleurs, les gouvernants utilisent le dumping fiscal – par le biais d’une imposition unique à 19% – et des salaires très bas pour attirer les capitaux étrangers, condamnant les travailleurs slovaques à la misère. L’industrie automobile avait d’ailleurs profité des des dix années de « vacances fiscales » offertes en 2001 par le gouvernement libéral de M. Mikuláš Dzurinda pour s’installer. Ils deviennent alors un hinterland allemand dont l’Allemagne se sert pour délocaliser, externaliser les coûts et engloutir les effets de la hausse de l’euro. Les bas salaires des travailleurs d’Europe de l’Est viennent garnir les gras dividendes des capitalistes allemands. Avant même l’adhésion de ces pays à l’UE, l’Europe leur impose des traités de libre-échange pour finir de vider les ex-démocraties populaires de leur tissu industriel. Résultat : les Quinze dégagèrent un surplus commercial massif vis-à-vis des PECO. Une vassalisation de l’Europe de l’Est en somme.

Il est convenu de dire que la transition fut moins brutale en République Tchèque et que la situation sociale est moins violente pour les Tchèques que pour les Polonais et les Hongrois. C’es en partie vrai et cela tient à l’histoire. La Tchécoslovaquie a toujours été la démocratie populaire la plus avancée sur le plan du développement avec l’Allemagne de l’Est. De même, après la chute du régime communiste, les dirigeants tchèques n’ont pas dépecé le pays comme leurs homologues hongrois et polonais. Il reste que si le chômage est très faible en République Tchèque, le salaire minimum ne dépasse pas les 600 euros, le droit du travail reste précaire et une flat tax s’applique aux ménages (15%) comme au capital (19%).

 

Une réaction au modèle économique d’exploitation des travailleurs de l’Est au service de l’Europe allemande

Les victoires d’Orban et du PiS en Hongrie et en Pologne sont les résultats d’un rejet du libéralisme par les peuples d’Europe de l’Est qui ont vu leur niveau de vie s’effondrer dans les années 1990 et les castes occidentales leur imposer des politiques par l’intermède de dirigeants corrompus. Ce projet peut aussi s’exprimer sous d’autres formes lorsqu’il ne trouve pas de débouché politique comme dans le cas des nombreuses victorieuses des travailleurs slaves et magyars notamment dans le secteur de l’automobile. En République tchèque, le chômage est plus faible. Le rejet du néolibéralisme est moins massif. Il n’en demeure pas moins que le vote de ce week-end signale une frustration lié à l’écart de salaires avec ceux qui ont cours en Europe occidentale, 28 ans après la chute du mur. 

La grève victorieuse des travailleurs de Volkswagen Slovaquie illustre bien le rapport de répulsion que l’occident exerce pour les Slaves. Le sentiment d’être floué domine. Alors que les Slovaques gagnent en moyenne 679 euros par mois en début de carrière à Bratislava, à 600 km de là les ouvriers de Wolfsbourg commencent à 2070 euros. Au début des années 90, les travailleurs slaves acceptaient d’être traités avec une telle indignité au nom des promesses de bien-être que leur procurerait la transition vers le libéralisme. Mais aujourd’hui, au regard du niveau de qualification qui est le leur, ils ne supportent plus d’être sous-payés et utilisés comme une main d’oeuvre corvéable pour engraisser les capitalistes allemands et les excédents commerciaux d’Angela Merkel.

Autre élément qui agite ce sentiment de répulsion à l’égard de l’occident : l’émigration. Vu le niveau des salaires (600 euros pour une professeure d’histoire, 400 pour une infirmière), beaucoup préfèrent aller travailler en Allemagne ou en Autriche. En 2014, près de 150 000 Slovaques, soit 6,1 % de la population active, occupaient un emploi frontalier, sur un total estimé à au moins 250 000 travailleurs expatriés. « Les communistes n’ont jamais réussi à introduire des sentiments anti-occidentaux, alors que ceux-ci deviennent très forts aujourd’hui.», constate Juraj Marušiak, politiste et membre du conseil de l’Académie slovaque des sciences. D’une promesse d’élévation du niveau de nie et de participation à la société de consommation, l’Occident est devenu un repoussoir, symbole de l’exploitation des travailleurs qui se trouvent au-delà du Rhin au profit d’une caste allemande dont la morgue n’égale que l’avidité.

Et quand on regarde les chiffres, rien d’irrationnel pour les Slovaques que de sentir qu’ils ne sont pas traités d’égal à égal avec les occidentaux. Alors qu’entre 1970 et 1985 les revenus réels avaient augmenté d’environ 50 % (8), ils ont chuté dans les années 1990. Le produit intérieur brut n’a retrouvé le niveau de 1989 qu’en 2007. « Les Slovaques ne se sentent pas perçus comme des partenaires égaux par l’Ouest, poursuit M. Marušiak. Et ils nourrissent une profonde frustration vis-à-vis des réformes libérales dont ils tiennent pour responsables leurs élites. » 

La grande grève menée par Moderné Odbory ayant permis d’obtenir une hausse de 14% des salaires pour les travailleurs du producteur allemand en Slovaquie est l’exemple d’une lame de fond de contestation de l’inégalité de avec laquelle la division européenne orchestrée par le gouvernement allemand traite les travailleurs d’Europe de l’Est. Chez Kia, Oz Kovo, syndicat jouant habituellement le rôle de courroie de transmission pour les sociaux-démocrates, a obtenu 8% d’augmentation. Le Premier Ministre hongrois s’est résigné à augmenter les salaires. Les sociaux-démocrates tchèques sont obligés de revendiquer une telle hausse pour ne pas perdre la face contre Babis aux législatives d’octobre. Les travailleurs d’Audi Hongrie ont, eux, obtenu une hausse de salaire de 20%. Les travailleurs tchèques de Mlada Boleslav annoncent des actions prochaines. Voilà peut-être le début d’un retournement de la contestation en Europe de l’Est. Conscients d’être utilisés par les firmes allemandes pour leur fournir des pièces dans les usines d’assemblage allemands, les travailleurs de l’Est n’acceptent plus d’être si maltraités et sous-payés. Une contestation sociale qui devra trouver une autre issue que les droites nationalistes qui, sous un vernis social, favorisent encore et toujours les classes moyennes supérieures et les intérêts du capital national, au dépend, c’est vrai, du capital transnational mais nullement au profit des travailleurs.

C’est en récupérant les demandes des travailleurs slaves et magyars pour une meilleur considération, une dignité de traitement égale à celle des pays de l’Ouest que les nationalistes hongrois et polonais gagnent du terrain. Ainsi, lors de l’élection présidentielle, Solidarnosc a soutenu le candidat du PiS. Lors des législatives, le PiS a su gagner le soutien de la Pologne brutalisée par les « contrats flexibles » à 200 euros par mois et les retraites à 300 euros par mois. Le PiS a fait des promesses ambitieuses sur le plan social : une allocation mensuelle de 500 złotys (115 euros) par enfant, financée par la taxation des banques et des grandes surfaces ; un salaire minimum horaire ; et même le retour à la retraite à 60 ans pour les femmes et à 65 ans pour les hommes, alors que les libéraux comptaient la porter à 67 ans. L’abstention — près de 50 % — a fait le reste. La vérité commande cependant de dire que le PiS a été plus prompt à mener des purges dans la justice et les médias ou à remettre en cause le droit à l’avortement que d’améliorer la condition sociale des travailleurs.

 

Orban, lui, avait soutenu le référendum victorieux lancé par les syndicats contre l’institution de droits d’entrée à l’université et contre le relèvement des tarifs de santé (il a, depuis, réintroduit l’un et l’autre). Orban a su diriger sa rhétorique contre les « élites » qui ont trahi le pays au profit des multinationales, et contre les « assistés », forcément Roms, pour construire une sujet politique majoritaire : le peuple travailleur hongrois honnête et trahi. Cependant, les mesures prises par Orban, si elles contrarient les multinationales, sont au service des classes supérieures hongroises. Les bénéficiaires de l’aide sociale sont contraints à des travaux d’utilité publique. L’impôt progressif sur le revenu a été remplacé par une taxe unique de 16 %.  La TVA est passée de 25 à 27 % pour devenir la plus élevée d’Europe. S’il remet en cause certains avantages des multinationales pour recouvrer une part de souveraineté, Orban continue la politique de guerre contre les pauvres mené par la sociale-démocratie hongroise : sur une population totale de dix millions d’habitants, le nombre de personnes vivant sous le seuil de pauvreté (220 euros par mois) est passé de trois millions au début des années 2000 à quatre millions aujourd’hui, selon la sociologue Zsuzsa Ferge. Pendant ce temps, les oligarques proches d’Orban s’en mettent plein les poches : MM. Lajos Simicska, Zsolt Nyerges et quelques grands entrepreneurs mettent la main sur les marchés publics les plus juteux. Le climat nationaliste entretenu à l’Est et le souvenir de la trahison sociale-démocrate ne fera pas tenir longtemps la supercherie.

 

Le retour d’un nationalisme tenu sous la soupape brejnevienne puis euro-atlantique

Si la misère sociale produite par la transition et l’Union Européenne est essentielle pour comprendre la montée des droites brunes en Europe, il n’est pas possible d’écarter la question nationale du diagnostic. Ces partis ont su capter la frustration nationaliste qui traverse les pays de l’Est et qui résulte tant du traité de Trianon qui a organisé le démantèlement de l’Empire austro-hongrois que du sentiment d’une souveraineté limitée hier par l’URSS, aujourd’hui par l’Union Européenne. 

Le cas Hongrois est le plus édifiant. La Hongrie a été dépecée de son territoire pas le traité de Trianon qui a organisé le démantèlement de l’empire Austro-Hongrois. En 1920, la Hongrie perd les deux tiers de son territoire et les trois cinquièmes de sa population. Mise sous le couvercle pendant la domination communiste, cette cicatrice qui a tailladé les veines du peuple Hongrois s’est ré-ouverte après la transition. Ainsi, Viktor Orban manie un récit national magyar qui définit la nation hongroise sur des critères ethniques. Il s’appuie sur le concept de Grande Hongrie (1867-1918) qui s’étendait sur les Carpates, la Translyvanie, la Croatie, la Slovénie, la Slovaquie et la Roumanie. La hungarité, concept associée à la Grande Hongrie, relève un passé mythique, célèbre un peuple de guerriers fraternels, unis par la chrétienté dont il faudrait perpétuer la tradition. Viktor Orban revendique un anticommunisme féroce qui le pousse à chérir les « martyrs » de 1956, un illibéralisme fervent, ainsi qu’un refus des lois étrangères, sous-entendu les lois de l’UE et des multinationales.

 

En arrivant au pouvoir, Viktor Orban a décidé de renforcer cette hungarité en accordant un passeport hongrois aux quelques 2 à 3 millions de représentants des minorités hongroises qui se situent hors du territoire hongrois, en proclamant le 4 juin, date de signature du traité, jour de cohésion nationale et en décorant Janos Petras chanteur du groupe Karpatia interdit dans la plupart des pays de l’ex-Grande Hongrie car célébrant les croix fléchées ; ce mouvement, fondé en 1939, est une transposition hongroise du nazisme qui, au pouvoir entre octobre 1944 et mars 1945, collabora très vigoureusement à l’extermination, en particulier des Juifs : un demi-million d’entre eux moururent, assassinés ou déportés à Auschwitz. Orban veut régénérer le nationalisme hongrois en se posent en protecteur la nation hongroise. L’idée est d’affirmer l’exception d’une nation hongroise régulièrement dominée dans l’histoire (par les Turcs, les Allemands ou les Russes). Hier matée par les soviétiques avec l’appui des traîtres communistes forcément cosmopolites, la Hongrie est aujourd’hui menacée par l’Occident, ses multinationales et son passe-plat : l’Union Européenne. Pour Orban, les traîtres contemporains ne sont guère différents de ceux qui ont comploté avec l’ennemi d’hier. Il s’agît du communiste cosmopolite qui s’est soumis aux ordres du FMI pendant la transition pour privatiser l’Etat, au service des multinationales qui ont fait exploser le coût de la vie pour les honnêtes travailleurs hongrois; du juif, cosmopolite, aussi et incarnant les multinationales qui dépècent le pays et des Tziganes et Roms, forcément parasites et vivant des aides sociales payées par le dur labeur des honnêtes travailleurs hongrois.

Le climat nationaliste Hongrois a d’ailleurs totalement marginalisé une gauche coupable d’avoir appliqué les ordres du FMI dans les années 90 et a donné comme seule opposition le Jobbik, parti néo-nazi hongrois qui célèbre les « descendants d’Attila » et fantasme un peuple eurasiatique, totalisant 20% aux élections législatives de 2014. Il faut dire que la seule opposition non nationaliste à Orban ne fait pas envie aux Hongrois : il s’agît de M.Bajnai qui, alors au pouvoir, s’adonna à des coupes dans les dépenses sociales, supprimait le treizième mois pour les retraités et pour les employés, provoqua le gel des salaires dans la fonction publique, augmenta de l’âge du départ à la retraite (de 62 à 65 ans) et ré-haussa le niveau de la TVA passée de 20 à 25 %. Tout cela sous les félicitations du président Obama et du FMI. Evidemment, Orban s’est glissé dans la brèche. Comme dans beaucoup de pays de l’Est, le visage de la droite nationaliste est apparue moins dégoûtant que celui du libéralisme.

Côté Polonais, le récit est moins élaboré. Il articule la blanchité, la catholicité, la xénophobie et le rejet de l’UE. On se souvient des sorties du président du parti droit et justice Jarosław Kaczyński: « Regardez la Suède ou la France : il y a des zones où règne la charia et où des patrouilles veillent à son application ! Voulez-vous que ces phénomènes apparaissent chez nous ? », a lancé le président du PiS, M. Jarosław Kaczyński, le 16 septembre 2015. Au cours d’un meeting, le 12 octobre, il a même accusé les migrants d’être « porteurs du choléra et de parasites ». « Les Polonais voyagent et voient à quoi mène l’immigration, assure Aleksańdra Rybinska, journaliste à l’hebdomadaire wSieci, proche du PiS. Le multiculturalisme ne fonctionne pas, alors ils ne veulent pas de cela ici. Le gouvernement précédent avait dû accepter sept mille migrants. C’est déjà trop. » La répulsion à l’égard de l’Occident, la misère sociale provoquée par celui-ci, et la crainte que provoque la crise migratoire a permis au PiS d’incarner l’intérêt général du peuple polonais à travers un catholicisme social, xénophobe, conservateur et protectionniste. 

En République Tchèque, Babis a fait du refus de l’accueil des réfugiés et de la crainte de l’islam un point cardinal de sa campagne. Dans une interview à Bloomberg, il a notamment déclaré : »Nous devons nous battre pour ce que nos ancêtres ont construit ici. S’il y a plus de Musulmans que de Belges à Bruxelles, c’est leur problème. Je n’en veux pas chez moi. Ils ne nous diront pas qui a le droit d’habiter ici. » « Nous ne voulons pas de quotas, nous ne voulons pas de migrants ici, nous voulons stopper la migration et voulons finalement avoir un Premier ministre qui dira à Merkel et à Macron que la solution se trouve hors de l’Europe » a-t-il répété pendant le débat qui l’opposait au leader du parti social-démocrate.

 

La Question rom

Un élément notoire unifie enfin ces mouvements nationalistes qui font tâche d’huile en Europe de l’Est. Ciment de cette critique réactionnaire du libéralisme qui appauvrit l’honnête travailleur polonais, tchèque ou hongrois, le Rom, le Tzigane est perçu comme un voleur et un parasite qui vit des aides sociales.

C’est un trait commun à toute l’Europe de l’Est. En République Tchèque où les Roms représentent 300 000 à 400 000 personnes sur une population de 10 millions, des manifestations anti-Roms ont agité le pays déferlant sur les ghettos aux cris de la « Tchéquie aux Tchèques ». Il est vrai que Babis n’a pas sombré dans le simplisme anti-Rom mais l’extrême-droite tchèque s’y adonne à cœur joie. En Pologne, dans une relative indifférence médiatique, les phalanges du Camp national-radical, groupuscule connu pour brûler des effigies de juifs hassidiques en public, ont paradé par centaines dans le centre de Varsovie, en chemises brunes et brassards verts courant avril. De juillet 2008 à août 2009, une série d’attaques meurtrières dans neuf villages de l’est de la Hongrie avait coûté la vie à six Roms dont un garçon de cinq ans. En Hongrie, les Roms sont marginalisés depuis des années. Le taux de chômage au sein de cette population atteint les 70%. Si Orban essaie de donner l’impression qu’il condamne les rixes antisémites et anti-Roms de la Magyar Garda (brigade encadrant les meetings du Jobbik officiellement dissoute en juillet 2009, dont le créateur est l’actuel président du parti), les violences contre les Roms ne font que se multiplier dans le pays. Si les droites nationalistes ne les cautionnent pas explicitement, leurs discours anti-Roms (pour les cas hongrois et polonais) et à la limite de l’antisémitisme (dans le cas hongrois) ne font que les encourager.

En Slovaquie, l’un des principaux faits d’armes de Kotleba (leader néo-fasciste ayant obtenu 15 députés sur 150 aux législatives) a eu lieu à l’occasion de l’incendie involontaire d’un château, attribué un peu rapidement à deux jeunes Tziganes, en septembre 2012.  Kotleba et ses amis ont déferlé dans le quartier rom en exhibant de vieux titres de propriété pour prétendre expulser les familles. De fait, les quartiers des minorités Roms contrastent fortement avec les autres quartiers : une grande misère, des habitations faites de bric et de broc, mal isolées et très petites. En Slovaquie comme dans une grande partie de l’Europe de l’Est, les Roms sont parqués dans des ghettos avec une espérance de vie inférieure de onze ans à la moyenne des Slovaques pour les hommes et de quatorze années pour les femmes. En Slovaquie, la paupérisation des Roms est dû à la disparition des emplois peu qualifiés dans l’agriculture. Représentant autour de 9% (450 000 Roms sur une population totale de 5,4 millions de Slovaques) de la population, ils concentrent les difficultés sociales. Massivement frappés par le chômage de longue durée, ils ne peuvent guère faire autre chose que de vivre avec une allocation de 62 euros par mois, doublée en échange de dix-sept heures de travaux d’intérêt général. C’est encore trop pour M. Kotleba qui qualifie la prestation « d’assistanat ».

 

En Slovaquie, comme dans une grande partie de l’Europe de l’Est, les Roms ont été victimes de la transition, accablés par le chômage et parqués dans des ghettos, comme ce fut le cas à Košice, en 1995, lorsque la municipalité décida de transférer les familles les plus pauvres dans le quartier Lunik IX, désormais l’un des ghetto Rom le plus important d’Europe de l’Est. Les autres familles ont pu quitter le quartier pour s’installer dans les grands ensembles du Nord de la ville, construit par le régime socialiste.

Après la violence de la transition vers le capitalisme, les pays de l’Est ont subi de plein fouet un modèle économique qui les a réduit à l’Etat d’hinterland allemand. Leurs faibles taxation du capital et leurs faible salaires permettent aux grands groupes, notamment allemands, de délocaliser en Europe de l’Est pour assembler les pièces en Allemagne. Résultat : la protection sociale est détruite, les salaires sont au plus bas et les travailleurs au-delà de la ligne Oder-Neise se sentent lésés par l’Occident. Exploités pour engraisser les excédents commerciaux allemands, les peuples de l’Europe de l’Est se tournent vers ces droites brunes ; elles ont réussi à construire un sujet politique majoritaire en opposition à l’Occident qui les exploite, bride leur souveraineté et à des traîtres nationaux, les sociaux-démocrates et les élites cosmopolites, ainsi qu’en stigmatisant des parasites, les Roms et le Tizganes qui « profitent » du dur labeur des honnêtes travailleurs slaves et magyars. Dégoûtés par une sociale-démocratie qui a livré le pays au FMI, les classes moyennes se jettent dans les bras des droites brunes.

 

Sources :

http://www.monde-diplomatique.fr/2000/02/ANDOR/2108

https://www.monde-diplomatique.fr/2017/09/DESCAMPS/57874

http://www.liberation.fr/planete/2017/09/15/les-neonazis-redonnent-du-brun-a-moudre_1596745

https://www.la-croix.com/Actualite/Monde/Des-crimes-racistes-contre-les-Roms-condamnes-en-Hongrie-2013-08-06-995436

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